Historique de l'association

Date : Wednesday 18 August 2004 @ 20:33:49 :: Sujet : La vie de l'Association

Discours d'ouverture du colloque

"Victimes ... de l'image à la réalité"

pour les 10 ans de l'APEV.

 

Delphine, Sabine, Yannis, Cécile, ces enfants innocents assassinés ou disparus sont à l'origine de la création de l'APEV, il y a 10 ans. Pour faire entendre nos voix, nous, leurs parents, nous avons décidé de nous regrouper au sein d'une association. Depuis, malheureusement devrais-je dire, une dizaine de familles nous rejoint chaque année.

L'APEV représente maintenant plus de 100 familles dont un enfant a été assassiné ou a disparu. La majorité de ces familles est rassemblée ici aujourd'hui.

La première demande de ces familles est de connaître la vérité, savoir ce qui est arrivé, que le coupable soit découvert et soit jugé. C'est un besoin de justice, et non un besoin de vengeance. A l'APEV, nous désirons donner la parole aux parents, les aider à se réinsérer dans la vie et leur redonner un rôle majeur dans le processus judiciaire.

Association de victimes, nous n'avons pas la prétention de nous substituer à des organismes plus structurés, composés de professionnels. Nous voulons être force de propositions, à partir de notre vécu face à la Justice. Nous initialisons des actions, en espérant que des structures plus officielles prennent ensuite le relais.

1/ nos actions

10 ans,
Pendant ces 10 années, la vie de l'association a été riche en évènements, riche en rencontres, riche en émotions. Il serait long et fastidieux d'en faire un bilan complet, je voudrais simplement rappeler les actions principales qui les ont jalonnées.

Nos actions se sont orientées selon 4 axes :
l'accompagnement des parents tout au long de la procédure,
la lutte contre les agressions sexuelles
La recherche des enfants disparus
Et la défense du droit des victimes

Premier axe, l'accompagnement des familles

Dès la première année, nous avons voulu nous retrouver entre parents pour parler ensemble, nous raconter, échanger entre nous, chacun se retrouvant dans la parole des autres. Nous nous connaissions tous par télévision interposée. La première rencontre fut emprunte d'une très grande émotion, soudant ainsi les liens qui commençaient à naître entre nous.

Moments forts de la vie de l'APEV, ces réunions se sont alors multipliées, nous permettant de nous retrouver régulièrement chaque année. Souvent en présence de magistrats, de psychologues, d'avocats, d'enquêteurs, de journalistes qui viennent nous expliquer en détail les procédures, leurs métiers, et répondre à nos multiples interrogations. Les frères et s'urs des victimes ont souhaité également se rencontrer. Peu de rencontres ont pu avoir lieu, les contraintes des uns et des autres rendant difficile leur organisation à un niveau national, bien que le souhait de ces jeunes étaient de continuer à se voir.

Ce besoin de rencontrer celui qui « a vécu la même chose » est un besoin commun à toutes les victimes. Nous sommes régulièrement contactés par des victimes d'accidents, ou par des parents dont l'enfant a subi une agression sexuelle, toutes désirent rencontrer des personnes vivant le même drame qu'elles, et participer à des groupes de paroles analogues à ceux que l'APEV organise. Malheureusement je ne connais aucune structure pour les accueillir.

Aboutissement de la procédure judiciaire, le procès d'assises est une épreuve, un choc psychologique, mais c'est enfin l'expression de la justice. Les parents doivent y être préparés.

L'APEV organise ainsi des journées d'information, dans un palais de justice, avec la collaboration de magistrats et d'avocats : présentation des différentes phases d'un procès, visite des lieux, explication du rôle de chaque acteur. Les parents sont ainsi moins impressionnés le jour du procès et comprennent mieux le sens de ce qui se déroule sous leurs yeux. Ensuite si les parents le souhaitent, nous les accompagnons durant le procès. Nous sommes à leur côté mais l'APEV n'a pas pour vocation à se porter partie civile, sauf dans des cas très exceptionnels.

Deuxième axe, la lutte contre les agresseurs sexuels

Dès 1991, nous avons donné la priorité à la lutte contre les agressions sexuelles et plus particulièrement contre la récidive. Nous ne pouvions admettre que des individus reconnus dangereux, connus de la Justice, puissent vivre sans aucune surveillance sous prétexte qu'ils avaient purgé leur peine. Beaucoup de nos enfants ont été assassinés par des récidivistes que la justice a laissé libres, libres de recommencer.

En 1993, nous écrivions :
« La lutte contre la récidive nécessite une politique globale de traitements des pédophiles. L'APEV a émis un certain nombre de propositions qui concourent à mettre en oeuvre une protection efficace de l'enfant contre toutes les agressions sexuelles.  La protection de l'enfant doit passer avant toute autre considération.»

A ce propos, je voudrais vous remercier tout particulièrement Monsieur Santini de nous avoir alors soutenus, d'avoir soutenu nos réflexions et nos propositions, car si maintenant ces mesures ne sont plus contestées par personne, elles n'étaient pas à l'époque, dans l'air du temps.

Réclamant un traitement approprié des pédophiles afin de diminuer les risques de récidive, nous avons été longtemps incompris, recevant même des lettres d'injures. Mais nous pensions que la meilleure façon de protéger les enfants était d'étudier leurs agresseurs, et de leur proposer des traitements, comme cela se faisait au Québec avec succès depuis de longues années ; traitement faisant l'objet d'expériences en France grâce à l'initiative de quelques psychiatres téméraires dont le Docteur Coutanceau, avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années, nous l'entendrons cet après midi.

Longtemps, nous avons ainsi été pris pour de doux utopistes, pour des naïfs ; les professionnels étaient gentils avec nous, un peu condescendant ; ils devaient penser, ce sont des victimes, c'est le choc, ils ne savent pas ; nos propositions bousculaient beaucoup d'idées reçues.

Par exemple lorsque nous avons demandé le suivi et le traitement des agresseurs sexuels, ou l'interdiction à toutes personnes condamnées pour agressions sexuelles, d'exercer un métier en relation avec des enfants. Ou encore, en 1995, lorsque nous avons demandé la création d'un fichier d'empreintes génétiques comme cela existait déjà dans d'autres pays.

Unissant nos voix à celle d'autres associations, à force de nous répéter, de groupes de travail en commission, de colloques en émissions de télévision, nous avons enfin été entendus du législateur. Je voudrais saluer ici Monsieur Pierre Méhaignerie premier, Ministre de la Justice à nous recevoir, et à écouter la parole des victimes.

Mais, il a fallu le choc de l'affaire Dutroux en Belgique, et la mobilisation de tout le gouvernement en cette fin d'année 1996, pour aboutir en juin 1998 au vote de la loi sur « la prévention et la répression des agressions sexuelles sur les mineurs » qui intègre la presque totalité de nos propositions, dont le suivi socio-judiciaire post carcéral des personnes condamnées pour agressions sexuelles, la possibilité de traitement des pédophiles, et la création du fichier d'empreintes génétiques.

En 1997, partenaire de la Grande Cause Nationale sur la protection de l'enfance maltraitée, nous avons participé à de nombreuses manifestations. A cette occasion, voulant mettre l'accent sur la prévention, nous avons édité un petit marque page, rappelant les droits des enfants et donnant quelques règles élémentaires de sécurité. Ce signet, qui a reçu l'agrément du Ministère de l'Education Nationale, a été distribué auprès de plusieurs milliers d'enfants dans les écoles, accompagné d'un document que nous avions publié l'année précédente pour les éducateurs et les parents.

Troisième axe, la recherche des enfants disparus

Au sein de l'association, l'attente des parents dont un enfant a disparu était tout autre. Essentiellement tournée vers la recherche de leur enfant, elle mettait en relief leur crainte de l'oubli. La disparition de Marion a eu le retentissement que l'on connaît ; aussi après avoir ouvert un site Internet, nous avons décidé, en 1997, de diffuser à grande échelle des affiches de recherches des enfants disparus. Auparavant, nous avions fait diffuser quelques photos d'enfants disparus par l'intermédiaire d'une association canadienne de Montréal.

Ne voulant pas banaliser les disparitions d'enfants, et lasser le public par la multiplication des affiches, nos avis de recherche regroupent les photos de plusieurs enfants. Leur diffusion est faite dans certains lieux publics bien ciblés, dont les gares, les bureaux de postes, les aéroports, et auprès des professionnels, dans les commissariats de police et les gendarmeries. Cette année, nous avons passé un accord avec Aéroport de Paris et avec la RATP pour systématiser cet affichage.

Un grand pas a été franchi en mai 2000, grâce à la campagne nationale que l'afficheur Dauphin nous a permis de lancer pour la recherche de 9 enfants disparus, affichage de plus de 13.000 panneaux de 4m sur 3, partout en France. Cette diffusion a créé un véritable événement, tous les médias l'ont relayé très largement, en France et à l'étranger.

Si ces campagnes, malheureusement, n'ont pas permis de retrouver un enfant, elles ont contribué à la lutte contre l'oubli, et à relancer certaines enquêtes. Depuis de nombreuses émissions de télévision, consacrées à ce sujet, ont relayé nos messages et donné la parole aux parents.

Ces enfants peuvent être partout dans le monde, nous sommes maintenant en contact régulier avec la Gendarmerie Nationale, le Ministère de l'Intérieur, Interpol et avec de nombreuses associations de part le monde comme Child Focus en Belgique, «National Missing Persons Helpline » en Grande Bretagne, des représentants de ces deux associations sont présents, ici, aujourd'hui avec nous, je pense aussi à Réseaux Enfants Retour au Canada avec qui nous travaillons depuis 10 ans, et le National Center for Missing and Exploited Children aux Etats Unis. Et depuis le mois de mai dernier, l'APEV est membre de la Fédération Européenne pour les Enfants disparus et Exploités Sexuellement, réunissant 18 associations de 14 pays européens, dont le siège est à Bruxelles.

Quatrième axe, la défense du droit des victimes

Depuis les années 1980, les choses changent sous la pression des associations, associations de victimes, et surtout associations de défense et de protection de l'enfant : loi de juillet 1989, loi de février 1994, loi de juin 1998, et la loi de juin 2000. Mais comment ces lois sont-elles appliquées ? D'un coté, il y a la loi, et de l'autre la réalité, ... je dirais la triste réalité. Y a-t-il vraiment un manque de moyens pour faire appliquer les lois, ou plutôt un manque de volonté ? Car il ne suffit pas de faire des lois, il faut aussi changer les mentalités de ceux qui sont chargés de les appliquer.

Nous voulons faire prendre conscience aux pouvoirs publics, aux enquêteurs et aux magistrats, des difficultés auxquelles les familles sont confrontées dans leur vie de tous les jours et dans leurs relations avec l'institution judiciaire.

Au fil du temps, nous avons multiplié les propositions en direction des professionnels de la Justice et du législateur. Nous avons été auditionnés à plusieurs reprises par des commissions du Ministère de la Justice, par la commission des lois de l'Assemblée Nationale et par celle du Sénat, pour porter la parole des victimes.

La Chancellerie nous consulte maintenant régulièrement, et nous participons à des groupes de travail du Comité National d'Aide aux Victimes, le CNAV mis en place il y a deux ans.

La Gendarmerie Nationale a pris conscience qu'il fallait aller au-delà des enquêtes et établir avec les victimes des relations plus humaines. Depuis 1993, nous témoignons régulièrement des relations entre les victimes et les enquêteurs lors des stages de formation des enquêteurs de la Gendarmerie Nationale aux Centres de Fontainebleau et de Melun. Nous intervenons également au centre de formation de la Police à Gif sur Yvette, à l'Ecole Nationale de la Magistrature à Paris et à Bordeaux, et depuis quelques années, auprès des étudiants en victimologie dans les universités de Pau et de Lyon.

Je ne pourrais pas conclure sur nos actions passées sans aborder la loi sur la présomption d'innocence, loi dont nous avons combattu le projet pendant près de deux années, sans être entendus. Dans l'expression présomption d'innocence, les victimes n'entendent qu'un seul mot, innocence. Ce mot est mal choisi pour désigner celui que l'on pense être l'auteur des faits. Pour la victime qui souffre encore, ce n'est pas acceptable.

La loi de juin 2000 sur la présomption d'innocence est applicable depuis le début de cette année, soit 6 mois après son vote. Par contre, la loi sur « la lutte contre les agresseurs sexuels sur mineurs » votée en juin 1998, n'est toujours pas appliquées plus de 3 ans après. Pourquoi une telle différence ?

Je voudrais encore vous lire un extrait d'une lettre que j'ai reçu il y a quelques jours, d'un magistrat d'une cour d'appel de province : « Mes collègues et moi-même nous nous élevons contre les lourdeurs, les incohérences et les effets pervers de la loi de juin 2000 qui empêchent la justice et les enquêteurs de faire normalement leur travail. Ce système aboutit à l'impunité et au mépris des droits des victimes qui sont de plus en plus oubliés. »

Comment les victimes pourraient-elles accepter une telle loi ? Le législateur ne pourrait-il pas revenir sur certains points ?

2/ l'avenir

Par ce rapide tour d'horizon de nos actions, nous avons l'impression de ne pas avoir été inutiles.

Il est certainement très banal de le dire, mais il reste encore un long chemin à parcourir.

« Victime, ... de l'image à la réalité », comment les institutions voient les victimes, et quel est le regard des victimes sur la Justice. L'objectif que nous nous sommes fixé aujourd'hui est de réfléchir ensemble à la place de la victime dans la procédure judiciaire.

Sans reprendre toutes nos propositions, elles seront largement développées tout au long de la journée, je voudrais résumer nos principales demandes :

Pour que la mort de nos enfants ne soit pas inutile, nous attendons la mise en place de mesures concrètes pour assurer la sécurité et la protection des enfants, afin que plus aucun ne subisse ce que nos enfants ont subi. Aussi, nous demandons la mise en oeuvre effective des mesures prévues par la loi sur " la prévention et la répression des agressions sexuelles sur les mineurs " votée en juin 1998.

Nous demandons, l'imprescriptibilité des crimes de sang ; l'affaire des jeunes filles disparues de l'Yonne devrait faire réfléchir.

Nous demandons un juste équilibre des droits des délinquants et des victimes, dans toutes les phases de la procédure.

Nous demandons, une véritable information des victimes et des parties civiles, car malgré la loi de juin 2000 qui rend cette information obligatoire tous les 6 mois, combien de victimes ont reçu cette information depuis 1 an ? Et combien de juges d'instruction refusent encore de recevoir les victimes ?

Nous demandons la création d'une partie civile principale, réservée aux victimes ou à leur représentant, ayant des droits particuliers comme celui de pouvoir faire appel des décisions de cour d'assises, y compris des acquittements.

Nous demandons la gratuité de la justice pour les victimes et la simplification de la procédure d'indemnisation devant la CIVI,

Nous demandons, la réforme de l'article 122-1 sur l'irresponsabilité pénale, pour que l'auteur des faits soit désigné nommément, lors d'un procès, après un débat contradictoire.

Enfin, nous demandons, l'uniformisation des législations au sein de la communauté européenne, en particulier en ce qui concerne l'extradition automatique des criminels entre les états membres.

Pour conclure, je voudrais dire que les victimes, toutes les victimes, nous les parents dont l'enfant a été assassiné ou a disparu, mais aussi les enfants victimes, agressés, martyrisés, violés, les victimes d'attentats terroristes, les victimes d'accidents, les victimes de catastrophes naturelles ou d'accidents collectifs, toutes attendent de la justice plus d'écoute, plus de respect, plus d'humanité ; elles attendent de connaître la vérité, toute la vérité. En un mot les victimes attendent plus de Justice.

Aussi, je me tourne maintenant vers vous, Madame la Ministre, pour vous demander de ne pas oublier les victimes dans les futurs projets de loi, qu'elles soient vraiment écoutées et trouvent enfin la place qui leur est due.

 

D'avance, je vous en remercie.

 

Alain Boulay
Président de l'APEV








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